Édito

Texte et image : deux objets bien différents d’un point de vue formel, mais qui sont pourtant souvent liés. La question du texte et de l’image dans l’art est ancienne et a été largement repensée au fil des siècles. À travers cette édition, nous souhaitons analyser la relation entre ces deux éléments, par le biais
de différents travaux d’artistes, plasticien•nes, auteur•ices et dessinateur•ices, à qui nous avons choisi de donner la parole.

« Texte : image ». La formule semble indiquer d’emblée une forme de hiérarchie, de subjugation du texte par l’image. Pour autant, texte et image doivent-ils rivaliser ? Le texte aurait-il forcément l’intention d’égaler l’image voire de la remplacer ? Quels rapports d’engendrement réciproque, d’autonomie et de rivalité peuvent être décelés ? Ces questions nous ont amené•es à dégager quatre thématiques principales qui ont ensuite
traversé les différents entretiens.

Dans un premier temps, nous nous sommes interrogé•es
sur la fonction du texte : est-il un matériau plastique comme
un autre ? Gladys Brégeon [fig. 01 : Gladys Brégeon au travail dans son atelier] et Julie Morel, artistes plasticiennes respectivement nées en 1981 et 1973, instaurent un dialogue entre l’image et le texte en partant de la forme de ce dernier. Gladys Brégeon s’intéresse au sens du texte tout en plaçant
sa dimension plastique au cœur de ses œuvres. De la même manière, dans le travail de Julie Morel, le texte est le point de départ de toute création plastique et numérique à travers une matérialisation du langage par différents médiums. Fabienne Yvert, artiste plasticienne née en 1962, accorde, quant à elle, davantage d’importance au texte qu’aux images et entretient
un rapport physique à la manipulation du texte. Même si,
pour elle, les mots peuvent exister seuls, intégrer des images entraîne une symbiose ou un contraste à partir desquels naît
le sens. Fabienne Yvert se sert d’éléments du quotidien comme support de création et utilise ainsi différents matériaux selon
ce qu’elle veut dire ou faire. Ce dont il s’agit alors, c’est de :

« prendre les mots, [prendre] les lettres dans tes mains […] Écrire est un travail manuel »
[ndlr : citation tirée de l’entretien avec l’artiste]

La question de la fonction du texte comme point de départ de la création mais aussi de son rôle dans le dialogue avec l’image, nous a ensuite amené•es à nous questionner sur la fabrication de l’œuvre et le processus de création. Pour Tania Mouraud [fig. 02 : Tania Mouraud au travail dans son atelier], artiste plasticienne française née en 1942, l’agencement des mots fait partie intégrante de sa démarche créative. Elle sélectionne le texte et le modèle avant de donner vie à ses travaux, tout en intégrant parfois le hasard à son dispositif. En effet, l’agencement du texte est parfois le résultat d’une intelligence artificielle, ou d’un geste qui dispose les lettres de manière
aléatoire. Pour Zac Deloupy, illustrateur et auteur de bandes dessinées né en 1968 à Saint-Étienne, la collaboration avec d’autres artistes-auteurs revêt une importance primordiale.
Il considère en effet que cela peut enrichir son propre travail
et lui permettre d’explorer de nouvelles perspectives artistiques. Chaque collaboration est unique, apportant son lot d’idées,
de techniques et d’expériences. Zac Deloupy s’entoure d’une variété de collaborateurs, allant des journalistes aux scénaristes. Cette diversité lui permet d’explorer différents genres
et formats, de la BD reportage au livre illustré pour enfants.

Dans ce travail complexe du mot à l’image, quid du spectateur ? Chez Tania Mouraud, le spectateur est placé dans une relation d’égalité avec l’artiste, au sein de laquelle s’instaure un dialogue. La notion du regard est très importante pour Tania Mouraud comme pour Fabienne Yvert [fig. 03 : Détail de l’atelier de Fabienne Yvert]  : le travail artistique doit permettre de créer des micro-événements au sein de l’espace urbain, comme une façon de remettre de la poésie ou de l’art dans
la vie quotidienne des passants. Avec le travail de Julie Morel,
le spectateur doit fournir un effort de déchiffrement. En effet, ce dernier doit effectuer son propre cheminement en s’interrogeant sur les indices disséminés par l’artiste dans certaines
de ses œuvres. Le spectateur endosse alors un rôle actif et peut ressentir une certaine frustration lorsqu’il ne parvient pas à déceler la ou les clés de lecture d’une œuvre. Gladys Brégeon donne, quant à elle, une grande liberté au public, qui peut
circuler entre la forme plastique du texte et sa forme classique de poésie, toutes deux complémentaires et essentielles à la réception de l’œuvre. Enfin, Zac Deloupy [fig. 04 : Zac Deloupy dans son atelier] explore la manière dont les images peuvent suggérer plutôt que dévoiler. Il réfléchit à la capacité de l’image à fonctionner par ellipse et à
insinuer des significations au-delà de ce qui est littéralement représenté, en particulier lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets
violents, personnels ou historiques comme la guerre d’Algérie.

La question de la réception pose à son tour celle de l’engagement social et politique de certains artistes et leur implication personnelle dans leur travail artistique. Tania Mouraud construit son engagement politique et social en rapport avec sa vie
personnelle, et notamment en lien avec l’engagement de ses parents dans la résistance au moment de la Seconde Guerre mondiale. Pour Zac Deloupy, l’engagement politique et social intervient comme une responsabilité de rappeler et préserver
la mémoire collective. À travers ses œuvres, il aspire à informer et à sensibiliser son public, contribuant ainsi à perpétuer le devoir de mémoire et à transmettre la réalité parfois dramatique du passé et du présent. Alors que Julie Morel [fig. 05 : L’atelier de Julie Morel] n’investit pas cette démarche sociale et politique dans ses travaux
mais s’attache davantage à explorer le quotidien et le rapport humain au numérique, elle affirme toutefois que tout travail
est politique.

Ces quatre thématiques traversent les entretiens réalisés avec les différents plasticien•nes, dessinateur•ices, auteur•ices, artistes, que nous avons rassemblé•es ici. D’autres les animent encore, selon la sensibilité et la pratique de chacun•e.
Dans cette exploration que nous avons menée, le travail de Tania Mouraud nous a servi de laboratoire de pensée pour
réfléchir à la relation du texte avec l’image. Nous vous invitons à rejoindre cette émulation et à découvrir, à votre tour, les pro-positions de Tania Mouraud, Fabienne Yvert, Gladys Brégeon, Julie Morel, et Zac Deloupy, telles qu’elles ont informé
notre réflexion et nos échanges.