Adèle Haenel, portrait d'une comédienne en feu

Léa Mahdadi, janvier 2024

« La honte », illustration de @downtownzoe,
publiée sur Instagram après les Césars 2020.

La silhouette d’une femme en robe de soirée, nimbée de reflets bleus et brillants, se dessine dans une salle de projection. « C’est la honte, la honte ! ». Regard iceberg incendiaire, elle quitte la soirée des Césars, et d’autres lui emboîtent le pas. Adèle Haenel vient de créer un précédent dans l’histoire du cinéma. Les images qui inondent internet le soir même déchaînent les foules : pour certain.es, la comédienne vient de devenir, en l’espace d’une soirée, l’icône d’un combat et surtout d’une colère longtemps réprimée. Pour d’autres, sa sortie est l’incarnation d’un manque de respect révoltant, ce scandale entache l’institution des Césars. De comédienne acclamée à activiste critiquée, Adèle Haenel a renoncé, par conviction, à son statut de star de cinéma.

Succès public et critique

Depuis son premier César en 2014 pour son rôle dans Suzanne, Adèle Haenel est une comédienne connue et reconnue, multiplement nommée et récompensée, acclamée par le public et par la critique. L’actrice enchaine alors les productions, et la presse fait son éloge. Elle reflète l’image glamour que l’on attend d’une actrice de cinéma, paraît dans des robes de haute couture, défile sur les tapis rouges, sans pour autant se départir d’une certaine défiance pour le star-système, comme elle le dévoile dans un portrait réalisé pour Le Monde en 2018.

Une nouvelle icone féministe

3 novembre 2019. Mediapart publie une enquête titrée « #MeToo dans le cinéma : l’actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou ». La comédienne y accuse Christophe Ruggia, le réalisateur de son premier film, d’attouchements et d’agressions sexuelles. Elle portera plainte quelques semaines plus tard. Le milieu du cinéma français, jusqu’ici plutôt imperméable au mouvement #metoo, fait l’objet d’une vague de prises de parole. Adèle Haenel devient alors le symbole d’un nouvel élan dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Elle n’a pas attendu l’enquête de Mediapart pour démontrer son engagement politique et social : en 2014, elle fait son coming-out sur la scène des Césars, avant de participer (entre autres) au mouvement Nuit Debout en 2016, et de signer deux ans plus tard une tribune pour défendre la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes. En février 2020, 4 mois après la parution de l’enquête de Médiapart, elle quittera la 45e cérémonie des Césars après la victoire de Roman Polanski.

La « métamorphose » d’Adèle Haenel

Début 2023, elle se coupe les cheveux, les internautes se déchainent. Sa « transformation » divise. Dans une tribune publiée par Télérama en mai 2023, Adèle Haenel annonce : elle quitte le cinéma. Elle ne renonce pas à jouer, préférant réorienter sa carrière vers le théâtre et le militantisme. Elle est violemment critiquée dans la presse nationale. Le Point titre « La fin d’Adèle Haenel ». L’Express évoque « un inquiétant virage marxiste ». Un backlash, retour de bâton pour Adèle Haenel, suite aux avancées de la cause qu’elle soutient sur la scène sociale ?

En passant d’une jeune première encensée à une militante radicale qui rejette les valeurs « bourgeoises et mortifères » du cinéma comme elle l’affirme elle-même, Adèle Haenel s’est réappropriée son image, en réduisant en cendres la starification dont elle faisait l’objet pour apporter visibilité et soutien aux causes qui lui tiennent à cœur. Son engagement « par le corps et l’intégrité » fait débat, et questionne les notions de male gaze et de female gaze dont les personnalités féminines font inlassablement l’objet. En se retirant de la scène médiatique traditionnelle, Adèle Haenel refuse de nous laisser juge de sa métamorphose. Elle ne sera plus l’objet du regard, ni celui du public, ni celui de la presse, et encore moins celui du cinéma français.

Tournez l'écran pour une meilleure expérience.