Où nul ne nous attend à la Comédie de Saint-Étienne
Lou Laffont, décembre 2023
Virginia Woolf, y es-tu ?
Si vous avez lu le roman Les Vagues de Virginia Woolf et que vous souhaitez voir ce texte mis en scène au théâtre, la pièce Où nul ne nous attend n’est peut-être pas le meilleur choix. La metteuse en scène Pauline Laidet et son collègue comédien Logan Decarvalho ont certes puisé leur inspiration dans ce texte, mais ils s’en sont aussi éloigné. Bien sûr, c’est un choix assumé. Dans le dossier d’information de la pièce, on peut lire : « Où nul ne nous attend n’est pas une adaptation du texte de Virginia Woolf, mais une écriture de plateau qui s’en inspire. », et en effet les comédiens et les comédiennes qui jouent la pièce ont participé à son écriture, en particulier Logan Decarvalho qui interprète Bernard. En réalité, c’est surtout la situation initiale de l’intrigue qui s’inspire d’un chapitre du récit Les Vagues : six amis se retrouvent dans un chalet perdu en montagne sur l’invitation de Camille (Perceval dans Les Vagues). Par ailleurs, le décor est très sommaire : hormis une table, des chaises et des confettis blancs supposés représenter de la neige, Pauline Laidet n’a pas fait le choix de distraire l’œil du public. Federica Buffoli, la scénographe, parle d’une « proposition épurée laissant libres les projections personnelles du public ». Ce dernier se concentre donc totalement sur le jeu des acteurs, qui ne sont pas mauvais, mais la scène aurait pu faire l’objet d’un décor plus élaboré, notamment pour combler l’ennui qui peut nous gagner lors des longues scènes d’analepses.
Où nul ne nous comprend
Dès le premier quart d’heure de la pièce, on devine quel sera le défaut principal de cette mise en scène : les retours incessants entre le passé, le présent, et quelquefois même le futur. Pauline Laidet met en avant une « superposition entre deux écritures : narrative et chorégraphique » et nous propose une intrigue dont le temps n’est pas linéaire. Le problème, c’est que l’on a du mal à comprendre à quel moment la pièce bascule dans une autre temporalité. Nous évoquerons bien évidemment la scène où nous sommes projetés dans le futur et que Jinny (Margaux Desailly), désormais âgée, se déplace très lentement sur scène, sans que d’autres choses se passent. Et lorsque l’on a finalement compris qu’il s’agissait d’un saut dans le temps, ce dernier dure si longtemps que l’on est vite gagné par un sentiment d’ennui.
Certes, la chorégraphie peut nous aider à nous repérer, mais ces moments sont trop nombreux pour que l’on puisse tous les saisir. Nous passons parfois davantage de temps à nous demander si la scène relève de l’analepse ou non plutôt qu’à réellement suivre l’intrigue. Nous pensons en particulier à l’une des scènes finales, lorsque les six personnages effectuent plusieurs tours autour de la table placée sur scène. La musique qui accompagne cette analepse est forte et agressive, ce qui n’arrange rien. Il n’est pas question de supprimer tous ces passages, mais il aurait été judicieux de limiter le nombre de ces va-et-vient et de les réserver aux moments clés de l’intrigue, comme lors de la chute de Rhoda (Cécile Bournay).
Camille : un iel pas très réussi
Parlons de ce mystère qu’est Camille. C’est elle (ou lui ?) qui invite les six personnages de la pièce : Rhoda, Susan (Heidi Becker-Babel), Jinny, Louis (Antoine Besson), Neville (Antoine Descanvelle) et Bernard. Pourtant, nous n’avons que très peu d’informations sur cette personne, et il s’agit d’un choix volontaire de Pauline Laidet. Cette dernière affirme qu’elle souhaitait rendre ce personnage le plus neutre possible, y compris dans son genre, afin que chaque spectateur et spectatrice puisse s’identifier à lui. Pourtant, même si le prénom « Camille » est effectivement mixte, le public aura toujours tendance à associer ce prénom au genre féminin bien qu’il soit, à l’origine, plutôt porté par des garçons. C’est d’ailleurs ce que l’on remarque dans les répliques des personnages : parfois, ces derniers ont tendance à genrer Camille au féminin. C’est dommage, car c’était une bonne idée de ne pas expliciter le genre de ce personnage mystérieux.