Le livre de la rentrée de Luc Chomarat

Théo Jacqmin, janvier 2024

Avec Le livre de la rentrée [La Manufacture de livres, 236 pages, 20 euros], Luc Chomarat pose un regard acéré sur le petit monde de l’édition française. Une satire qui ne tient pas toutes ses promesses.

Dans le paysage du roman français, Luc Chomarat s’est fait une réputation dans l’art du détournement et du pastiche, notamment à travers des polars inventifs, jouant avec les codes et les limites des genres littéraires. Dans Le livre de la rentrée, Chomarat reprend un schéma narratif qu’il avait déjà développé dans Le dernier thriller norvégien, paru en 2019, mettant en scène un personnage plongé dans une intrigue a priori banale qui prend conscience au fil des évènements de son statut d’être fictif, à la merci des caprices d’un auteur démiurge.

Dans son dernier roman, Luc Chomarat pousse sa démarche plus loin, en étendant le procédé à tous les protagonistes d’un récit à l’intrigue ténue : à la recherche du prochain phénomène de la rentrée littéraire, un éditeur parisien, nommé Delafeuille, se rend chez son vieil ami Luc, auteur de polars à succès, retiré dans le Sud-ouest avec son épouse Delphine. Delafeuille tombe sous le charme de Delphine, tandis que son ami romancier se fait de plus en plus insaisissable, se muant peu à peu en une figure inquiétante et tyrannique.

L’action de ce court roman importe peu, tant l’accent est porté sur les jeux narratifs et les aller-retours entre fiction et effets de réalité volontairement intrusifs. Luc Chomarat a repris pour ce roman un format qu’il affectionne, tout entier tourné vers la métafiction, le mélange des genres et des niveaux de lecture. Un format qui trouve dans Le livre de la rentrée une ampleur nouvelle, puisque l’auteur n’hésite pas à donner de sa personne en s’intégrant pleinement dans le récit. Par conséquent, la frontière entre Luc (le personnage) et Luc (le romancier) devient floue, plongeant l’intrigue dans un entre-deux propice à toutes les audaces. L’auteur, qui n’est pas avare d’autocitations et d’apartés, signe ainsi un roman hybride qui peut s’avérer crispant pour qui n’est pas sensible à ces procédés, qui s’apparentent parfois à des effets de manche. De plus, la pratique généralisée du name dropping et les constantes références aux sujets qui agitent la création littéraire actuelle (le male gaze qui inhibe l’inspiration des auteurs masculins, le woke qui contamine jusqu’au milieu de l’édition, …), inscrivent le roman dans une contemporanéité, idéologiquement chargée (et, disons-le, gentiment réactionnaire).

En effet, derrière la façade policée d’un roman qui ne se prend pas au sérieux, Luc Chomarat brosse un portrait à charge d’une certaine littérature, qui reléguerait l’inventivité au second plan, tout entière absorbée par le souci de plaire au public et de se plier aux injonctions nouvelles d’une société fracturée. Les protagonistes du Livre de la rentrée sont par conséquent assez peu étoffés, et sont surtout pour l’auteur l’occasion de développer un discours sur le monde de l’édition français. Ainsi, le personnage de la douce et mélancolique Delphine, parfaite femme au foyer à la beauté inaltérable dont la personnalité a autant d’épaisseur qu’une serviette en papier, se voit érigée en symbole de l’incapacité supposée des auteurs masculins à camper un protagoniste féminin convaincant. La confidente de Delafeuille, Madeleine Murnau, incarne quant à elle l’éditrice parisienne truculente, jamais avare d’une vacherie bien sentie, forçant l’émergence des pires auteurs (forcément de la génération Z, qui écrivent en langage SMS !), par pur cynisme et appât du gain. Luc, enfin, le Mr Hyde de Luc Chomarat, est le romancier vulgaire et sexiste à qui tout réussit, sorte de ridicule épouvantail beigbedérien. Une construction purement littéraire qui jamais au grand jamais ne saurait exister dans le monde réel.

Si on comprend la visée satirique de la galerie de personnages dressée par Luc Chomarat, on a parfois du mal à adhérer à ses postulats, qui lorgnent parfois vers la caricature de l’« auteur blanc de plus de cinquante ans », observant le monde avec une distance goguenarde, mais qui est paradoxalement incapable de sortir de sa condition (et de ses préjugés) par la littérature, aussi habile et railleuse soit-elle.

Même si l’écriture de Chomarat est agréable et maitrisée, on ressort de cette lecture un peu frustré, tant le dispositif mis en place par l’auteur, tout à la fois réjouissant et aliénant, aurait pu emmener l’intrigue vers des sommets autrement plus intéressants qu’un énième commentaire sur le monde de l’édition et ses travers, par ailleurs assez convenu. Et s’il faut reconnaître à Luc Chomarat un humour bien dosé, un vrai sens de la formule et un art de la distance ironique, il est dommage que son récit s’oublie dans une machine si parfaitement réglée, qui finit hélas par tourner à vide.

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