Féminines, ou quand Pauline Bureau fait match nul
Léa Mahdadi, décembre 2022
Création originale de Pauline Bureau datant de 2019, Féminines a reçu le prix de la meilleure création d’une pièce en langue française du Syndicat de la Critique 2020, le Prix Théâtre SACD 2020 et a été récompensé par le Molière 2022 de l’Autrice francophone vivante.
Des personnages quelque peu éculés, portés par un casting rafraichissant
On (re)découvre l’histoire vraie de la création de la première équipe de football féminine de France, « Les Féminines de Reims », qui donne son nom à la pièce. Pauline Bureau nous emmène à la rencontre de ces femmes qui ont fait l’histoire du sport français, et qui s’incarnent dans divers archétypes : Marinette (Camille Garcia), une jeune fille timide de 16 ans qui préfère le ballon rond aux tutus et qui ment à son père pour venir s’entraîner, Marie-Maud (Catherine Vinatier), une femme au foyer en quête d’évasion qui ne peut pas laisser son mari sortir un poulet du four, ou encore Françoise (Sonia Floire), une gardienne du stade de foot local qui voudrait bien passer sur le terrain. Malgré leur caractérisation un peu clichée, ces personnages ont le mérite de rendre vite les différentes filles reconnaissables et attachantes, chacune avec une petite intrigue personnelle qui lui est propre (la vie privée des joueuses ayant été complètement romancée).
A contrario, le casting est rafraîchissant en ce qui concerne la diversité de représentation des origines, des corps et des âges. On salue tout spécialement la performance de Sonia Floire, dans le rôle de Françoise, qui sait être particulièrement juste et touchante dans quelques moments de grâce où les projecteurs sont braqués sur elle.
Une mise en scène simpliste, teintée de quelques bonnes idées
Pauline Bureau s’essaye également à la réalisation, puisque l’espace de la scène intègre un écran de projection mobile réservé à la monstration des épisodes sur le terrain de football, le plus souvent en musique. On apprécie cette initiative vidéo audacieuse, mais l'aspect « clipesque » et l’esthétique amateur de ces moments pourraient sortir plus d’un spectateur de la pièce.
L’espace de la scène est divisé en plusieurs blocs, un supérieur (réservé au décor de l’usine et à l’écran de projection) et un inférieur (consacré au vestiaire et aux habitations). En addition, deux alcôves, de part et d’autre de la scène principale, s'ouvrent et se ferment au fur et à mesure de la narration. Cette division de l’espace permet une séparation stricte entre chacune des ficelles de l’intrigue, et rend la lecture de la pièce plus claire, bien qu’elle donne parfois l’impression de littéralement enfermer ses comédiennes dans des petites cases.
Une écriture gentillette, qui empêche la pièce de se déployer pleinement
À vouloir être trop grand public, Pauline Bureau sacrifie parfois son discours sur l’autel de l’accessibilité. Les personnages clichés (la femme au foyer, le garçon manqué, l’ado timide), les petites cases du plateau, les instants de comique forcé (la scène d’introduction des coachs, Rose levant incessamment la main), l’utilité questionnable (voire l’incohérence) du choix des musiques et de certaines sous intrigues (la scène du feu de camp, la trahison de l’assistant du coach) tout cela nuit à la portée qu’aurait pu avoir un tel récit.
L’écriture est teintée de bienveillance et de bonnes intentions, mais Féminines se perd dans la multiplication d’intrigues et de sujets de société, sitôt exposés, sitôt oubliés : la violence conjugale, le racisme, l’homosexualité féminine… Pauline Bureau n’accorde qu’une attention superficielle à ces enjeux qu’il apparaît pourtant essentiel de développer si on prend la peine de les aborder. Cette faiblesse d’écriture est peut-être le point le plus dommageable de la pièce.
Il est certain que la dernière création de Pauline Bureau n’est pas le manifeste féministe que l’on aurait pu espérer. Est-ce une mauvaise pièce pour autant ? Cela dépend de ce que vous attendez d’une visite au théâtre. Si vous n’avez rien contre une écriture didactique qui vous prend par la main pour raconter une jolie histoire sans choquer, alors vous passerez sans doute un bon moment devant Féminines. Un théâtre feel good sans risques, qui, si l’on s'y abandonne, nous fera voyager entre rire et émotion, jusqu’à un happy end prévisible mais satisfaisant.