Ephémérides, une exposition du hasard au fil du temps

Carla Gallon, décembre 2023

L’exposition temporaire Ephéméride réunit chaque année 31 artistes (peintres, dessinateurs, graphistes, céramistes, photographes, illustrateurs, etc.) pour réaliser 365 œuvres à l’image des 365 jours de l’année. Chacun tire au sort une date pour chaque mois de l’année, et réalise ainsi une œuvre par mois (sauf exception pour les mois plus courts). La seule contrainte pour les artistes : celle de réaliser des œuvres au format 20x20cm. L’exposition organisée par l’association « 365 jours » se tient à la Galerie du Babet à Saint-Etienne du 6 au 15 octobre 2023. Les œuvres sont exposées en bloc par mois, et dans l’ordre de tirage des numéros. La salle étant de géométrie carrée, chaque pan de mur accueille exactement trois blocs de mois, ce qui forme au total les 12 mois de l’année.

Une géométrie du temps

Le temps apparaît de manière géométrique et physique, de sorte que l’on puisse se le représenter en termes de durée. Un jour paraît important lorsqu’on le regarde avec attention, mais devient de plus en plus insignifiant à mesure qu’on le considère à échelle du mois, et de l’année. Chaque « zoom » sur un jour nous plonge dans un univers tout à fait singulier et différent des autres. Le temps est représenté différemment par les artistes, tout comme il est ressenti différemment par les individus. Les peintures et sculptures suggèrent un temps long, de travail de la matière et de composition, alors que la photographie nous inspire davantage un temps court, un instant bref et furtif tiré directement du réel.

L’uniformité au sein de la variété

Les tableaux sont tous très différents du fait de leur nature et leur style ; et pourtant ils forment un tout et un ensemble harmonieux. Une « uniformité au sein de la variété » pour reprendre les mots d’Hutcheson lorsqu’il parle de « beauté absolue ». En effet, on retrouve de mois en mois la patte de chaque artiste, les couleurs qu’il utilise, les matériaux et les techniques. Cette charte graphique, à laquelle s’ajoute la géométrie parfaite de la forme, provoque cette impression d’uniformité malgré la variété individuelle des œuvres. Placez-vous à distance et vous percevrez l’unité ; approchez-vous et vous découvrirez la variété !

Comme le hasard fait bien les choses

On pourrait reprocher à cette exposition son caractère arbitraire – en quelque sorte immotivé, du fait de ce tirage qui laisse le sort choisir l’emplacement des œuvres. En effet, les mois se succèdent de manière chronologique sur les murs de la salle, et les œuvres journalières sont disposées aléatoirement, sans conscience de leur place au sein des autres. Pourtant, ce hasard crée inévitablement des effets, des histoires. Il laisse la place à notre imagination pour interpréter à notre guise la lecture des œuvres. Sans concertation aucune, certaines œuvres semblent se faire écho, comme c’est le cas pour les œuvres de Catherine Haro et de Deloupy, placées l’une au-dessus de l’autre pour le mois de septembre. Deux figures plus ou moins humaines, représentées de face, avec en arrière-plan une forêt d’arbres dénués de feuilles. Le personnage de Haro paraît apeuré ; celui de Deloupy est effrayant, et semble causer l’inquiétude du premier. On pourrait croire que ces deux personnages se font face et appartiennent à la même histoire, bien que les deux esthétiques soient totalement différentes.

Les artistes qui sortent du lot

Les œuvres de Deloupy nous plongent dans un univers onirique, proche du conte, en nous invitant à suivre une histoire dont chaque mois révèle un chapitre. Un retour dans l’enfance qui mélange les inspirations du Petit Chaperon Rouge et d’Alice au pays des merveilles, tout comme un clin d’œil à la psychanalyse freudienne dans l’utilisation des couleurs : du noir, du blanc, et surtout du rouge, fixés sur le papier à l’encre de chine.

De son côté, Catherine Haro réalise une série de peintures figuratives au style caricatural qui dépeignent des personnages très expressifs, en proie à leurs démons, rappelant le style des peintres expressionnistes allemands. Les bouches sont ouvertes, les gorges déployées, mais les yeux semblent tristes, inquiets ou envieux. Ses toiles à l’huile très texturées capturent le regard du spectateur en le renvoyant à ses propres émotions.

Les photographies de Sarah Avelisjan-Segealon sont tout aussi expressives, bien que moins porteuses de tourment. La chorégraphe photographie des moments de danse en mettant en valeur les corps dans l’espace. Ces corps, capturés en plein mouvement, sont visibles à travers des jeux d’ombres et de lumière qui dégagent une certaine humanité au sein de l’espace, souvent urbain.

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Ephéméride laisse ainsi une trace du temps passé à travers des créations uniques qui marquent la singularité des moments vécus par chacun. Les contraintes de format et de temps de réalisation contribuent justement à cet effet de condensation et de spontanéité, tandis que la liberté de création permet, elle, d’ouvrir l’exposition à de multiples univers artistiques. Toutefois, il aurait peut-être été bienvenu d’ajouter une contrainte supplémentaire au travail des artistes : prendre en considération la période de création dans le choix de l’esthétique des œuvres, de sorte que les mois d’été soient par exemple plus lumineux que les mois d’hiver, et que chacun puisse être identifié par la simple contemplation. De cette manière, chaque mois aurait sa singularité propre, au même titre que les jours.

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