En présence d’Agnès Mariller : une opportunité artistique unique pour rétablir la beauté du corps vieilli

Anaëlle Ducarouge, décembre 2023

Pour marquer le début de la saison automnale, l’artiste-peintre Agnès Mariller dévoile son dernier travail pictural En présence à la Galerie une image à Saint-Etienne. À travers l’utilisation de nombreux supports tels que le cuivre, le bois, la toile et la feuille, elle redonne vie aux corps féminins qui portent les stigmates du temps. Cette exposition est une réponse poignante aux stéréotypes sexistes qui entourent la représentation courante du corps des femmes.

De l’altérité à l’altération

Dès l’entrée dans la salle, l’espace où se tient l’exposition paraît vide, et seuls quelques grands tableaux viennent combler les murs blancs. Ainsi, une tension subtile s’installe immédiatement. Le spectateur se retrouve en tête-à-tête avec des représentations picturales de femmes au corps vieilli. Elles nous contraignent, par leur regard qui nous fait face, à les observer attentivement : les plis de la chair, la couleur des rides qui se dessinent, le ventre qui se plisse sous l’effet du temps. Elles nous invitent à contempler leurs corps nus, vulnérables face à l’inéluctable passage des années. Le regard, oppressant, dévoile ce qui demeure caché, ce que d’ordinaire il semblerait préférable de dissimuler, par honte, ou d’exposer à la lumière de la jeunesse.

La rencontre avec ces corps est surprenante, poignante et intrigante, le public observe ce qu’il ne connaît pas, ce qui ne lui semble pas familier, presque repoussant, et que seul le geste du pinceau, si subtil et pénétrant soit-il, rend fascinant. Car c’est cette fascination pour l’inconnu qui nous pousse à naviguer de toiles en toiles, de corps en corps, à découvrir le sublime sous la fragilité de la chair. Ce qui transparaît dans cette exposition, c’est le talent de l’artiste-peintre qui nous permet de saisir la variété des expressions de ces corps, à travers les nombreux supports utilisés : l’usage du papier souligne la vulnérabilité des femmes, le cuivre exprime la pérennité de leur présence, que seule la main de l’artiste peut révéler, tandis que la toile capte leur essence picturale.

Le corps mis à nu révèle une beauté éternelle

Bien qu’Agnès Mariller pratiquât auparavant la photographie, la peinture s’éloigne de cette forme d’art car elle offre une matérialité particulière au corps, ce que la photo n’aurait pu octroyer, et met en évidence des détails saisissants qui dépouillent l’être de la beauté féminine stéréotypée. Le vert impérial des feuilles qui entourent ces femmes laisse libre cours à l’interprétation du public, évoquant la pureté de la nature en harmonie avec la pureté des corps dévoilés. Agnès Mariller recherche la couleur pure et authentique, dans laquelle le vert s’entremêle avec la froideur des corps pour créer une expérience visuelle unique, mise en lumière par des couleurs ternes et violettes. L’artiste-peintre redonne une beauté inattendue à ces corps séniles, à ces corps qui sont généralement perçus comme ordinaires et dénués d’attrait ou de beauté.

La simplicité, la vulnérabilité et le dépouillement de ces femmes permettent à cette exposition de mettre en évidence un détail inattendu qui capte l’attention : l’absence de cheveux chez les femmes. Ce détail intime remet en question les normes de féminité établies par la société patriarcale puisque l’artiste-peintre dépouille ainsi ces femmes du symbole féminin figé. L’artiste a su rendre toute la magnificence de ces corps vieillis grâce à la délicatesse de son coup de pinceau, au choix subtil des couleurs, à l’harmonie exprimée par les teintes de peau et la finesse des yeux des femmes, ainsi qu’à l’association de ces éléments avec la verdure des feuilles.

Lorsque l’on observe avec attention, on peut discerner que ces femmes partagent une ressemblance frappante : le visage fin, les joues creusées, les yeux ronds et bleus… Une atmosphère de familiarité émane de leur visage. Si Agnès Mariller affirme que ses tableaux ne sont pas des autos-portraits, elle les décrit plutôt comme des représentations de son propre corps, incarnés sur la toile.

C’est ainsi qu’Agnès Mariller jongle habilement entre la recherche d’une vérité universelle et l’exploration intime de son propre corps, en utilisant une diversité de supports artistiques pour interpeller le public et remettre en question les normes patriarcales, encore trop ancrées dans la société.

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